Ces filles au papa défectueux
Se construire avec un père qui dysfonctionne​

Elles sont nées sans importance…

Elles voulaient pourtant tellement exister aux yeux de cet homme qui est leur père !

Mais voilà, lui, il préfère ses garçons, ou il n’a pas le temps, ou il ne sait pas trop quoi faire d’une fille, ou il aurait préféré avoir un fils, ou son passif avec « les femmes de sa vie » (sa mère, grand-mère, sœur…) est trop douloureux, compliqué et sa fille va le déranger, lui poser un réel problème.

Du coup, cette petite fille sera une étrangère à ses yeux, à ses émotions, à ses élans affectifs. Et elle devra se construire avec ça, ou plutôt, sans lui.

Il faut « recontextualiser »

Au moment de la création des premières civilisations hiérarchisées, la place de l’homme prend le pas sur celle de la femme qui est reléguée à la soumission et à des rôles de « maternité ». Il devient essentiel, au fil des générations, de développer son patrimoine de terres et de bêtes. « Patrimoine » : issu du latin patrimonium qui signifie littéralement « héritage du père ». La paternité, au-delà du rapport biologique père-enfant, devient surtout, un pilier central des rapports de force dans la société.

Dans l’antiquité, la transmission des biens et des pouvoirs passe exclusivement par le père qui est le chef absolu de la famille.

Au Moyen-âge, la question de l’héritage par le père reste centrale. Le garçon premier né sera alors roi et/ou successeur attitré. Tout garçon né d’un autre père est considéré comme « bâtard ». Les filles et futures femmes, ne peuvent fonder une famille qu’avec l’accord du père et qu’en passant par le mariage religieux. Le comportement « chaste » de la mère est supposé garantir la filiation du père.

La sociologue a sociologue Christine Castelain Meunier (« La paternité » – collection Que sais-je ? PUF) explique qu’en France, la révolution française (1789) va mettre un terme juridique à la toute puissance du patriarcat. Un père ne pourra plus privilégier son fils aîné dans l’héritage et devra également le partager avec les filles.

C’est surtout après la révolution industrielle et les 2 guerres mondiales que la femme s’émancipe peu à peu de l’homme, du mari, du père, obligées qu’elles sont, de les remplacer dans le travail quand ces derniers partent au front pour la guerre.

Tous les pays industrialisés n’ont pas évolué à la même vitesse. Pour rappel, en Suisse, le droit de vote des femmes est introduit au niveau fédéral qu’en 1971, et au niveau cantonal entre 1959 et 1990.

A contrario, c’est seulement depuis le 1 er juillet 2014, que les couples séparés ou divorcés ont en règle générale l’autorité parentale conjointe pour leurs enfants communs. Avant cette date, seule la mère l’avait.

Le lien père-fille

Quand on parle du lien d’attachement en psychologie, on se réfère principalement à la théorie du lien de l’attachement développée par John Bowlby et son assistante de recherche Mary Ainswort ((Ainsworth & Bowlby, 1989), ainsi que Winnicott, Harlow et Lorenz.

C’est un champ de la psychologie qui relate des relations entre êtres humains. Son principe est qu’un jeune enfant a besoin de développer une relation d’attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue, pour connaître un développement social et émotionnel normal, dans un contexte sécurisant.

Alors que se passe t’il quand une fille nait dans une famille dont le père ne tisse pas de liens avec elle ? ou que le lien est défectueux ? Imbibé des propres problématiques que le féminin renvoi à cet homme.

Pendant longtemps, c’était la mère qui « introduisait et racontait » le père auprès de ses enfants. Ce dernier avait alors l’image que la mère lui octroyait, de façon consciente et inconsciente.

Aujourd’hui, le père est impliqué directement auprès de l’enfant dès sa conception, dans une relation qui ne passe pas nécessairement par la médiation de la mère. On sait désormais que le père est en mesure d’apporter une contribution spécifique dans la socialisation, dans la construction du langage et de l’intelligence, dans l’ancrage et l’équilibrage affectif de ses enfants (M. Lamb (éd.), The Role of the Father in Child Development, New York, Wiley, 1997).

Le premier homme de sa vie

Pour une petite fille, la rencontre avec son père et aussi la rencontre avec le 1er homme de sa vie. Il est d’abord appréhendé par celle-ci comme homme de la mère et donc interdit sexuellement. Le père coupe le « cordon ombilical » et permet à l’enfant d’exister en dehors de la mère.

Elle va pouvoir, dès lors, aller à la rencontre de sa féminité au travers du regard de son père qui la validera en tant que personne sexuée et pouvant être aimée pour cette raison…en principe…

Mon père est défectueux, puis-je le renvoyer au SAV ?

Mais quand ça ne fonctionne pas, la petite fille va tenter par tous les moyens d’exister aux yeux de son père, quitte à ne plus être une fille si c’est là qu’est le problème. On assiste à l’apparition des « garçons manqués ».

A l’inverse, elle peut s’ultra sexuer pour obliger ce père à la différencier de la mère et la reconnaitre comme « intéressante » et « importante » en tant que femme.

Toujours est-il qu’elle est dans une impasse, car quoi qu’elle soit, qu’elle dise, ou qu’elle fasse, elle n’arrive pas à attirer ce père qui la délaisse.

J’aimerais bien être aimée par mon père…un jour. Ces pères encore bien conditionnés

Dans les années 1960, les pères passent plus de temps avec leurs enfants (congés payés, les mères travaillent).

Les hommes et femmes devenant parents dans les années 2000, s’occupent plus de leurs enfants ET travaillent plus que les parents des générations précédentes. Mais heureusement, ils ont la technologie (web, smartphone…) qui leur donne accès à beaucoup plus d’informations sur le « mode d’emploi : comment devenir des parents parfaits ? ».

Cependant, les traditions sont tenaces, et encore aujourd’hui, au 21ème siècle, le rôle du père véhiculé autant par la façon dont le cinéma le représente, que par la société elle-même, reste très stéréotypé.

Bien qu’il y ai un réel partage des tâches, une vrai implication dans la prise en charge des enfants par les pères de la générations Y, beaucoup de familles fonctionnent encore avec les mécanismes transmis par leur parents et grands-parents.

Le regard du père envers sa fille va façonner son rapport aux hommes pour toute sa vie. L’amour de cet homme pour sa fille est en principe fait de tendresse, de protection et d’admiration réciproque. C’est au travers des yeux de son père que la fille construit ses futures relations amoureuses, sa confiance en elle, ses capacités à créer du lien.

Il voulait un garçon…mauvaise pioche, il a eu une fille

Caroline, 47 ans, puéricultrice : « Mon père ne voulait pas de fille. J’ai 3 frères avec 1 an et demi de différence entre chaque et moi, je suis arrivée 6 ans après le 3ème. Ma mère m’a toujours dit qu’elle voulait une fille comme ça elle se sentirait moins seule au milieu de tous ces mâles.

Dès petite, j’ai partagé ma chambre avec Patrice, le plus jeune de mes frères. Mon père ne faisait pas de différence entre tous ses enfants. Il m’appelait Rolin. Quand ma mère m’habillait en fille, il ne me regardait pas, ou alors c’était pour se moquer de moi. Il disait que je ressemblais à un fil de fer en robe.

Alors je me suis évertuée toute mon enfance à ne pas être différente de mes frères. Je jouais avec eux, me battais avec eux et adoptais toutes leurs attitudes qui faisaient la fierté de mon père. J’étais pourtant exclue de toutes les sorties ou activités « entre hommes » et j’en pleurais tellement je trouvais ça injuste.

Lorsque j’ai eu mes règles, ma mère a voulu que je ne partage plus la chambre avec mon frère. On a aménagé le bureau de mon père pour qu’elle devienne ma chambre et à partir de là, mon père a passé sa vie à me critiquer, me rabaisser, m’humilier.

J’étais enfin devenu une fille à ses yeux et c’était pire que tout. Mes relations aux hommes ont toujours été compliquées et chaotiques. Soit j’en attends trop, soit je les mets à distance.

Il m’a fallu des années et une bonne thérapie pour comprendre que rien n’était de ma faute si j’étais mal née. Que mon sexe m’avait dès le départ condamné. Que ma mère ne m’avait pas beaucoup aidée sur ce coup là et que mon père ne m’aimerait jamais vraiment pour qui j’étais. »

Mon père…ce héros en carton

Gaelle, 22 ans, étudiante HEC : « J’ai adoré mon père ! profondément. Ma mère passait son temps à lui dire qu’il cédait à tous mes caprices, ce qui n’était pas faux d’ailleurs. On avait une très grande complicité qui excluait ma mère et j’adorais ça.

J’avais environ 16 ans quand un soir je sortais des cours et je suis rentrée plus tôt à la maison.  J’ai trouvé mon père, dans sa chambre avec une femme. J’ai pété un câble. La femme est partie en courant et mon père a essayé de me calmer.

Le pire, c’est que dans un premier temps il a commencé par me demander de ne rien dire à ma mère, car si je parlais je ruinais la famille. J’étais dégoutée. Comme je lui ai répondu que j’en avais rien à foutre et que je dirais quand même ce qui s’était passé, alors il s’est mis à pleurer, en me disant que la vie était dure, qu’il ne s’aimait plus depuis longtemps ma mère et lui…Bref, que ce n’était pas de sa faute.

Mes parents se sont séparés et je n’ai plus revu mon père pendant 3 ans. Je ne voulais plus aucun contact avec lui. En fait, j’avais l’impression que c’était moi et non pas ma mère qu’il avait trompée.

Je fais actuellement une thérapie car je n’arrive pas à effacer cette sensation de vide et de rage contre lui. Je n’arrive pas non plus à construire de relation avec un mec. J’attends toujours de voir à quel moment il va me trahir. Et ça finit toujours par arriver. »

Elles ont morflé et il faudra les aider à comprendre

Dans ces 2 témoignages, l’une est rejetée, l’autre est trahie. Dans un cas comme dans l’autre, leur rapport aux hommes est biaisé. Elles doivent composer avec des réflexes de défiances, avec leur profonde blessure narcissique, et en même temps, cet espoir désespéré d’être enfin valable et surtout aimable (pouvant être aimée) aux yeux de leur père.

Elles vont alors tenter de trouver un homme qui pourra réparer leur peur d’être rejetée, leur douleur qu’être juste ce qu’elles sont, n’est jamais suffisant pour qu’on les aime.

Pour y parvenir, il sera mis à l’épreuve via toute une batterie de « tests » qu’elles auront concocté de manière plus ou moins consciente. Par exemple, ces messieurs devront leur prouver qu’elles passent avant tout ! Elles doivent être la seule et unique priorité de leur vie !

Cela implique qu’ils devront sacrifier un certain nombre de choses pour se sentir à la hauteur de leurs attentes. Ils vont, par exemple, arrêter un sport trop prenant, renoncer aux sorties entre potes, ne plus s’investir dans une passion qui exclurait leur compagne.

Le plus compliqué, c’est quand ces femmes leur demandent de mettre de la distance entre eux et un membre de leur famille et/ou ami (parents, fratrie, ami(e)…), qu’elles estiment trop présents ou trop complices. Ils se retrouvent piégés à devoir faire un choix impossible.

Alors, leur histoire d’amour se termine mal. Au plus la blessure du lien au père est forte, et au plus elles vont chercher des compagnons qui ne seront pas capables de leur donner ce qu’elles veulent. Ils vont ainsi prouver à leurs yeux, que décidément, les hommes ne sont pas fiables, c’est bien tous les mêmes !

Les rapports de dépendance :

« L’adulte est celui qui est capable d’accepter d’être dépendant. La dépendance aliénante se retrouve dans les liens entre personnes dont l’une d’elle joue un rôle figé, tandis que l’autre s’y adapte complètement.

Le désir d’être totalement indépendant se résume à la peur d’être infantilisé comme durant la relation parent/enfant.

Refuser de s’attacher à l’Autre, c’est reconnaitre son impossibilité à se détacher des liens affectifs infantiles. » (Louise Grenier, psychologue, psychanalyste québécoise, auteure de « filles sans pères » ed. Québécor 2012)