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Ma spécialité en tant que thérapeute systémicienne, est de me rendre chez mes patients.

Le lieu d’habitation devient alors une vraie ressource et un outil très pratique pour permettre de dénouer des situations parfois très complexes.

Avant de vous donner des exemples concrets de ce qu’un lieu peut permettre lors d’une problématique, j’aimerais vous resituer ce qu’est « la maison » pour chaque individu et pour une famille.

La maison : un prolongement de soi

Alberto Eiguer, dans son livre « l’inconscient de la maison – Editions Dunod », explique à quel point on projette son intériorité psychique et physique dans notre habitat :

« […] À l’intérieur de la maison, les activités se développent pareillement dans des endroits plus ou moins précis en se rattachant à des fonctions corporelles déterminées : alimentation, excrétion, repos, sexualité, sommeil. On repère un secteur d’activités « diurnes » (préparation et prise des repas, lecture, réception, et un secteur d’activités « nocturnes » les plus intimes (chambres, salles de bains, WC ). Ainsi cette distribution sert-elle à faciliter entre autres nos fonctions corporelles, cela est vital pour nous ; en même temps ces fonctions ont une influence sur l’agencement des espaces par la façon dont notre psychologie se les représente […]. »

La maison a beaucoup évolué au fil du temps. Les constructions en elles-mêmes témoignent de ce que les générations veulent qu’on voit ou pas de leur intimité. Cela va de la maison aux murs épais et fenêtres étroites, préservant du regard extérieur, en passant par nos maisons actuelles aux grandes baies vitrées exposant largement la vie de la famille aux yeux de tous.

De nos jours, il est facile de faire un parallèle entre nos envies d’espaces ouverts (la cuisine faisant partie intégrante du salon et la salle à manger ne devenant plus qu’une table suffisamment grande pour recevoir), et notre besoin de livrer nos vies sur les réseaux sociaux, mettant ainsi l’intime en exhibition plus ou moins anonyme (sans connaitre ceux qui regardent).

Je pourrais encore vous parler de ces maisons dans lesquelles on se sent spontanément bien ou terriblement mal à l’aise. Des maisons dont on hérite et qui peuvent être inhabitables en fonction des traces qu’elles ont laissé dans les souvenirs. Des lieux impossibles à investir. Ou des maisons marquées physiquement par le passage de la vie familiale (comme la toise dessinée sur le mur d’un couloir).

Il n’y a jamais eu autant d’émissions sur l’habitation que ces 10 dernières années. Comment trouver l’appartement idéal, comment rénover son intérieur, mettre du « Feng shui » dans les pièces. Même les fabricants d’outils de bricolage ont inventé des possibilités de transformation des habitats, accessibles à tous.

De même, que toutes les personnes ayant vécu un cambriolage sont unanimes pour l’exprimer comme un « viol » de leur intimité. Ce qui est effectivement le cas d’un point de vu psychique.

Le fait d’être intervenue dans une famille où il y avait de la violence intra-familiale des garçons adolescents sur leur mère, a permis de rendre public et visible cette maltraitance qui se déroulait impunément à l’abri des regards extérieurs.

La maison est notre seconde peau. Elle est le témoin de la représentation symbolique des liens inconscients entre ses habitants. Elle définit leurs rôles et fonctions. Elle spatialise les interactions entre eux.

La majorité des habitats dans lesquels je vais n’ont pas été conçus par les gens qui y habitent. Ils ont donc dû s’adapter et modeler la projection psychique de leur « Moi » (tant personnel que familial) à un lieu prédéfini et imposé.

Dans ce lieu de vie, les objets, comme le mobilier ou la décoration, sont à la fois des outils indispensables pour que la maison soit vivable et habitable, et des éléments qui reflètent la psychologie de chacun. On le constate beaucoup dans la chambre des adolescents qui, à défaut de parvenir encore à définir leur personnalité, customisent leur espace dans une projection psychique de ce à quoi ils s’identifient à un moment précis (et tout peut changer très vite et radicalement).

Maison en therapie familiale2

Lorsque les familles me reçoivent chez elles, leur habitation me révèle souvent ce qu’elles taisent ou les choses auxquelles elles ne prêtent plus attention.

« Mme X me reçoit chez elle car elle se sent débordée par ses 2 garçons de 4 et 7 ans. Elle m’explique qu’elle n’arrive plus à les cadrer. Le plus grand ment comme « un arracheur de dents » et le plus petit qui a un handicap physique, la sollicite au-delà de ses possibilités. Elle n’en peut plus et me dit qu’elle a l’impression d’être transparente.

La 1ère chose que je vois quand j’arrive chez elle, c’est qu’on ne sait pas qui habite chez qui. Les objets des enfants envahissent le moindre espace. Ils ont une chambre mais vivent partout, jusque sur les murs où trônent les dessins punaisés de chacun. En fait, cette maman n’existe pas. Elle est juste devenue un objet fonctionnel. Il n’y a que très peu de choses personnelles d’elle. Ici un vase (quand même tagué au feutre), son ordinateur sur lequel les enfants regardent des séries pour enfants… Bref, rien de vraiment personnel.

Sa maison a du contenu, mais n’est pas un contenant. Du coup les enfants ont besoin que leur mère marque son territoire pour les rassurer quant à son existence concrète et palpable. Pour qu’elle se dissocie d’eux, elle va devoir se faire une place, redevenir sujet. S’octroyer le droit d’avoir son espace sans culpabiliser. Imposer son existence et ainsi redonner à la maison un territoire précis à chacun. »

Ce que le mobilier ou les espaces proposent en thérapie

« La famille L. me sollicite car apparemment plus personne n’arrive à se parler sans se hurler dessus. Et effectivement quand je sonne chez eux, j’entends des cris et disputes à travers la porte. C’est la petite dernière, 5 ans, faisant partie d’une fratrie de 3 enfants qui vient m’ouvrir. Elle me sourit et me dit que si je veux, je peux attendre un peu ici que papa ai fini « d’engueuler » son frère. Donc je rentre et j’attends un peu avec elle. Dans ce couloir, j’entame un dialogue avec elle en chuchotant. Après 2 ou 3 minutes, la mère sort de la cuisine, pièce directement à droite de l’entrée et vient se joindre à nous. Elle m’explique qu’il lui semblait bien avoir entendu quelque chose, elle a l’ouïe fine ! La conversation se poursuit à voix basse. Petit à petit, l’ensemble des membres de la famille viennent nous rejoindre et on se met tous à parler doucement dans ce couloir.

Au bout de 20 minutes, le père propose qu’on se déplace ailleurs…Je lui dis d’accord, mais uniquement dans un endroit où on pourra continuer à parler à voix basse. A l’unanimité, on finit dans la cuisine. Le sort de cette pièce est scellé. Elle deviendra le lieu où l’on ne peut se parler qu’à voix basse.

Loin de leur interdire de continuer à s’engueuler, puisque c’est le seul moyen qu’ils ont pour maintenir le lien entre eux, ils peuvent le faire partout très fort sauf dans la cuisine où ils doivent se disputer en chuchotant. La dynamique familiale allait changer obligatoirement.

La séance suivante, toute la famille m’explique qu’elle a vraiment suivi la consigne et que ça a changé beaucoup de choses entre eux. La petite de 5 ans lance que papa lui a dit « je t’aime » pour la 1ere fois, et le papa pleure en me disant qu’il s’est rendu compte que c’est justement ce qu’ils n’arrivaient pas à se dire clairement. »

Chaque endroit de vie révèle celui qui l’habite.

Dans la thérapie familiale à domicile, j’utilise énormément les lieux comme support et outils. Je peux, en fonction des problématiques exposées, me poser des questions sur comment la famille s’est distribué les pièces ? Le fait que certaines familles vivent dans un capharnaüm, traduit-il l’instabilité des liens ? Les membres de la famille ajoutent-ils de nouvelles fonctions aux pièces ? Font-ils que la chambre conjugale devienne le lieu pour toute la famille ? A y-t-il des pièces interdites ?

L’espace familial exprime l’amour et les privilèges, les attitudes de rejet, de préférence, de disqualification, d’idéalisation, de protection.

Il est intéressant de savoir depuis combien de temps une famille vit dans son habitat, et comment ce dernier évolue avec elle.

Gardons aussi à l’esprit le traumatisme que peut engendrer un déménagement ou le déchirement éprouvé par le parent qui est contraint de quitter la maison, laissant tout derrière lui, lors d’une séparation. Par l’obligation de vivre dans une promiscuité angoissante pour les familles logées dans des appartements trop petits… etc. …

Prenons en compte que nous avons besoin, pour exister, de pouvoir se projeter au-delà de nous par le biais, entre autres, de notre lieu de vie.