ou quand les thérapeutes et avocats ne communiquent pas
Comme le stipule les démarches de administratives de l’état de Genève, vous pouvez soit divorcer, soit vous séparer. Une fois que cela est dit, il y a toute la complexité d’une rupture qui entre en jeu.
Du point de vue de l’avocat, il est là pour défendre les intérêts de son client. Du point de vue du juge, il a l’obligation de rendre un jugement équitable et qui protège au mieux les enfants. Du point de vue du parent qui se sépare, il y a le traumatisme qu’engendre la rupture. Du point de vue des enfants, il y a l’adaptation obligatoire au nouveau rythme de vie. Du point de vue du thérapeute, il y a la difficulté à faire en sorte que tout cela se passe avec le moins de violences possibles.
Ce que je constate depuis des années que j’accompagne des familles en rupture ou des parents en pleine crise de séparation, c’est que les avocats et les thérapeutes ne discutent que très rarement ensemble. Et c’est bien dommage !
La peur du système judiciaire
La plupart des parents qui entament une procédure ne connaissent pas le système judicaire auquel ils vont être confrontés. Au moment où ils vont se séparer, ils vont devoir se mettre d’accord ou pas sur les points suivants (liste non exhaustive) :
- l’attribution du logement,
- le partage des biens,
- les responsabilités financières de chacun,
- le montant de la pension alimentaire
- le système de garde : garde exclusive, garde élargie, garde partagée
- l’autorité parentale
- le lieu d’habitation des enfants,
- les choix éducatifs,
- l’entretien des enfants.
Il y a plusieurs choix : celui de prendre chacun son avocat, celui d’avoir un avocat commun, ou celui de faire une médiation. Quelle que soit la méthode choisie, reste la part du traumatisme psychique de chacun face à cet échec de vie commune.
C’est comme quand on essaie d’expliquer à quelqu’un quelque chose qu’il n’a jamais vécu. Cette personne ne peut que l’imaginer, faire des liens entre des situations similaires qu’elle aurait vécues et ce qu’on lui dit. Puis il y a la réalité.
Dans un tribunal, chaque audience est différente, car chaque histoire et protagonistes le sont aussi. Ce moment est toujours extrêmement chargé émotionnellement. Les professionnels « désaffectivent » tout. Ils n’ont pas le choix, car sinon, les audiences se passeraient régulièrement de manière plus ou moins dramatique.
Pourtant, ces audiences sont le point culminant de la séparation. Tout ce qui va être dit, interprété et au final jugé, sera vécu comme une extrême injustice de la part du parent qui n’aura pas obtenu ce qu’il désirait.
Ce qui me surprend toujours, c’est le peu d’avocats qui expliquent clairement le dérouler de ce moment à leur client. Ça me rappelle toutes ces futures mamans que j’ai suivi et à qui j’ai dû expliquer ce qu’il se passait dans une salle d’accouchement. Les odeurs, les bruits, à quoi ressemble la salle dans laquelle elles seront (sa couleur, sa fraicheur ou sa chaleur), les personnes qu’il peut y avoir autour d’elles, …bref, tous ces détails qui font qu’elles arrivent à mieux se projeter dans ce moment d’une forte intensité émotionnelle.
Car oui, se retrouver au tribunal devant un juge, ça fait peur.
Les enfants les plus défendus et souvent les moins écoutés
Il est très courant d’entendre des parents dirent que le plus important est le bien-être de leurs enfants. Paradoxalement, la majorité du temps, on demande aux enfants de suivre le mouvement. De s’adapter à la nouvelle configuration familiale et de l’accepter. Et c’est vrai qu’ils n’ont pas vraiment le choix, même si beaucoup d’entre eux rêvent que leurs parents se « remettent » ensemble.
Dans mes séances avec les ou le parent qui se séparent, je passe beaucoup de temps à leur faire comprendre que lorsque les enfants sont avec l’autre parent, alors ils leur échappent. Chaque parent doit faire un gros travail d’acceptation sur le fait qu’il n’a plus de regard, ni son mot à dire sur la façon dont l’autre s’occupe des enfants.
La seule chose sur laquelle un parent peu intervenir, c’est si les enfants sont en danger physique ou psychique chez l’autre. Il y a ceux qui voudraient obliger l’autre à « changer » sa façon de faire, d’être, de se comporter et ceux qui en ont marre d’être systématiquement remis en question, scruté, jugé. Et au milieu, il y a les enfants.
Comme je l’explique très souvent, l’objectif est de donner aux enfants un maximum d’outils pour qu’ils puissent gérer les situations dans l’endroit où ils se trouvent. Il faut qu’ils aient des personnes ressources à qui ils peuvent dire ce qu’ils n’osent pas dire à leur parent respectif. Face à un comportement d’un parent estimé dysfonctionnant par l’autre parent, il faut que les enfants aient plusieurs possibilités de le gérer, d’en parler.
Et si ça leur fait très peur ou très mal, ils doivent pouvoir immédiatement le dire, sans remise en question de leur parole. Et si c’est trop grave, il faut que la justice puisse les protéger.
Avocats et thérapeutes
Ce que je trouve le plus dommage dans les séparations, c’est que les thérapeutes et les avocats ne communiquent que sous l’injonction d’un juge. Quand la situation familiale est définitivement dégradée.
Pourtant, dans beaucoup de cas, il faudrait pouvoir communiquer. Cela permettrait de désamorcer la spirale de conflits qu’engendre la concrétisation d’une séparation. Dans leurs études, les avocats reçoivent de toute façon un parent qui déverse chez eux toutes ses émotions, qu’ils doivent absorber et gérer. Il en va de même chez les thérapeutes qui essaient de redonner à leurs patients une capacité de raisonnement objectif sur la situation et les aider à guérir le traumatisme.
Bien sûr qu’il y a le secret professionnel. Bien sûr qu’il faut composer entre toutes les parties.
Mais parfois, rien que de donner quelques conseils pour épargner les enfants dans ces moments-là, serait vraiment bénéfique pour tous. C’est probablement mon côté utopiste qui me fait imaginer une collaboration intelligente et efficace entre les thérapeutes et les avocats…un jour peut-être…