Aller au contenu

On naît tous au milieu d’une histoire.

On devient la continuité de quelque chose et le début d’autre chose.

Monsieur C., la quarantaine me demande un rendez-vous pour je l’aide à « cadrer » sa mère. Il me dit que la relation avec elle est depuis longtemps conflictuelle et, comme elle est maintenant grand-mère, il faut impérativement qu’elle change de fonctionnement.

Je m’attendais donc à une situation familiale tendue et agressive entre la mère et le fils. Je devais également comprendre pourquoi ce fils de 40 ans passé avait besoin de « cadrer » sa mère. Qu’est-ce qui dépendait de ce fameux cadrage ? Qu’est-ce que ça changerait dans sa vie personnelle ?

Lors du 1er entretien, cette maman ne parle pas beaucoup à l’inverse de son fils unique qui me dit que ce qui lui pose le plus grand problème, est que sa mère ne prenne pas d’initiatives, qu’elle se positionne souvent comme victime et demande sans arrêt la permission pour tout dès qu’il s’agit de sa petite-fille.

Le papa est décédé quand Monsieur C. était adulte. C’était un homme dominateur et alcoolique et la maman m’explique qu’elle a réussi à se sortir de son emprise qu’à l’âge de 50 ans, en ayant le courage de le quitter, de trouver du travail et de s’assumer, chose qui n’avait jamais existé dans sa vie. Son mari est mort quelques temps après son départ.

Monsieur C. est chef d’une brigade de sapeurs-pompiers et sauve des vies régulièrement. Il est marié à une femme qui est infirmière en réanimation et elle aussi, sauve beaucoup de monde. J’ai donc à faire à un couple de héros qui doit composer avec une grand-mère qui se « victimise » et qu’il est impossible de sauver.

La maman raconte que la goutte qui a fait déborder le vase pour elle, c’est le jour où son fils sortait d’un parking avec sa voiture et qu’elle n’a pas pu empêcher la barrière de se refermer sur la voiture (visiblement elle était en charge de l’ouverture et la fermeture de cette dernière). Son fils a pété un câble et l’a insultée et violement bousculée. Elle a eu très peur, sa petite-fille a pleuré et sa belle-fille était très mal devant toute cette violence.

Monsieur C. balaye cette histoire de la main pour revenir à son leitmotiv qui est que ça mère doit maintenant prendre des choses en charge, des initiatives, etc. …

Quand la transmission d’un trauma s’invite dans la séance

Et là, on commence à entrevoir le poids de quelque chose qu’inconsciemment cette mère a déposé dans le « sac à dos » de son fils à sa naissance.

Comme je l’ai dit plus haut, on naît tous au milieu d’histoire. Quand un bébé vient au monde, il pèse son poids de naissance + le poids du petit (ou grand) sac à dos contenant des morceaux de l’histoire familiale, « d’une ou des missions » et /ou du « traumatisme » que les parents vont lui transmettre.

En effet, il arrive souvent qu’un enfant soit « missionné » dès sa naissance pour réparer, compenser, transformer, aplanir, changer quelque chose au sein de la famille. C’est une mission inconsciente (ou pas), donnée par les parents. Cet enfant va donc démarrer sa vie avec le poids de cette charge.

Cela peut-être par exemple, d’être l’élément stabilisateur ou apaisant dans une famille où les liens sont faits de tensions, de colère, de crises. En étant un bébé calme et sans problèmes, il oblige les parents à mettre en place avec lui, un lien de communication différent. Il va ainsi les obliger à prendre conscience de leur façon de fonctionner en créant une différence. Les parents vont soit réagir et se rendre compte qu’il existe une autre façon de communiquer ou au contraire ne pas réussir à se remettre en question et provoquer des situations qui obligeront ce bébé à se ranger à la façon dont la famille communique.

Dans le cas qui nous occupe, devant cette incapacité de Monsieur C. a répondre à une demande de « sauvetage » impossible de sa mère, on peut imaginer que sa « mission » de « vie » est de la sauver. Mais de quoi cette maman a besoin d’être sauvée alors ?

Lors des entretiens suivants, la mère de Monsieur C. parle pour la première fois de sa vie, des abus sexuels qu’elle a subit de la part de son père à elle de l’âge de 5 ans jusqu’à ses 16 ans, moment où elle a fui sa famille pour se marier avec le père de son fils qui l’a dominée et maltraitée jusqu’à ses 50 ans.

Elle dit que sa prière d’enfant quand elle avait 10 / 12 ans, dans les moments terribles qui suivaient ses agressions sexuelles, était qu’un jour elle son enfant à elle la sauverait.

La boucle est bouclée.

La mission impossible

Son fils est donc né avec la mission inconsciente de sauver sa mère d’une situation qui n’existe plus. Le sauvetage impossible. Il a donc grandi avec un sentiment d’impuissance d’aider cette mère dont il ressentait viscéralement les peurs traumatiques. Il a compensé en faisant un métier de sauveteur, mais sans jamais réussir à réellement remplir sa mission de base.

Il est donc primordial et fondamental pour lui que sa mère ne soit plus « victime » de rien et se sauve elle-même. Pour cela, elle doit adopter des comportements et des mots qui valideront, selon les critères d’adulte de son fils, que sa mère exécute correctement son propre sauvetage dont il sera enfin libéré.  

Les outils thérapeutiques systémiques

Si je demandais à Monsieur C. de dire à sa mère comment et ce qu’elle devait faire pour « bien » fonctionner (se sauver), je recommençais de nouveau à lui donner la responsabilité du bien-être (sa mission de sauvetage) de sa mère.

Il a donc fallu que je lui propose de comprendre ce que contenait son « sac à dos » de naissance, de faire le deuil de sa « mission » impossible vis-à-vis de sa mère sans culpabiliser et « d’accepter » que sa mère avait réussi à ne plus être victime de personne.

J’ai demandé à sa mère de lui réexpliquer comment, pour elle, elle avait réussi à reprendre sa vie en main, devenir enfin libre de ses traumatismes passés et de cet fait, libérer son fils de sa mission impossible.

Conclusion

On a tous hérité d’un sac à dos plus ou moins lourd à porter. Dites-vous que lorsque vous vivez des situations à répétions sans solutions, il y a peut-être une part de ce poids qu’il faut comprendre et dont il faut se délester.

La transmission est indispensable à la construction de l’identité d’un enfant.

Par ce biais, il développe un sentiment d’appartenance et une identité qu’il peut associer à celle du groupe familial. Cela contribue à la construction de son Moi et à la consolidation de son estime de lui.

Comme le disent Anna Maria Nicolò, Eleonora Strinati :

« Chaque famille possède un langage qui lui est propre, une histoire et aussi une pratique quotidienne particulière que l’enfant apprend dans les actions quotidiennes. La famille vit donc dans un contexte d’apprentissage émotionnel avec lequel, comme dirait Meltzer (1983), chacun d’entre nous s’est identifié, et dont le fonctionnement mental et émotionnel fait partie de notre monde interne (Nicolo, 1993). 

Les familles présentant un fonctionnement pathologique et un psychisme traumatisé, transmettent leurs mécanismes de défense et les réactions face aux difficultés se répètent de manière identique chez tous les membres de la famille sans qu’ils en aient conscience, et le temps passe inutilement sans que l’on puisse sortir de la compulsion de répétition. »