Petit village devenu grand
C’est d’abord la maman de cette élève de 9 ans qui me contacte à la suite du harcèlement que sa fille subie au sein de sa classe. Elle est arrivée dans ce village en périphérie de Genève il y a environ 2 ans. Cette maman monoparentale s’est installée à la « campagne » avec son nouveau compagnon qui n’a pas d’enfant.
La jeune fille que nous appellerons Léa, ne voit son père que quelque fois dans l’année car il est très agressif et colérique. La séparation des parents quand elle avait 5 ans s’est passée difficilement et quand elle est avec son père, ce dernier n’arrive pas à s’empêcher de la rabaisser.
Pour changer d’air et mettre un peu de distance avec tous les conflits parentaux, la maman a déménagé pour ce qu’elle pensait être un endroit serein et tranquille.
Et sur le papier, ce village est en effet un endroit serein et tranquille ! Seulement, comme beaucoup de communes en périphérie de Genève, elles ont accueilli de plus en plus de familles d’expatriés et/ou de travailleurs en lien avec le développement économique important de la ville. Ces communes ont beaucoup construit et les « petits » villages sont rapidement devenus de petites villes dans la ville. Comme tout le reste, l’école a accueilli ces nouveaux élèves et nouveaux parents.
Ces communes sont alors confrontées à la cohabitation entre les « villageois » et tous les nouveaux arrivants. Cela provoque des tensions, des clivages et l’intégration est souvent compliquée à tous les niveaux.
L’école primaire ne déroge pas à la règle. L’enseignante de Léa est une jeune femme dont toute la famille vit depuis des générations dans la commune. Le corps enseignant et la directrice ont le même profil. La mixité dans l’école entre les parents du cru et les « autres » penche plutôt du côté des « villageois ».
Léa m’explique que lorsqu‘elle est arrivée dans sa classe, les filles l’ont d’abord acceptées, puis rejetées sans raison apparentes. Cela se traduisait au départ par la mise à l’écart à la récréation, par des moqueries, puis rapidement par des agressions physiques, claques, coup de pied, tirage de cheveux.
La maman de Léa est intervenue et a demandé à l’enseignante de faire quelque chose.
L’enseignante a expliqué que Léa avait tendance à se mettre d’elle-même à l’écart des autres et qu’elle avait dû la punir car elle avait insulté une camarade en classe.
Suite à cette entrevue, Léa a commencé à tomber malade les dimanches soir et pleurait beaucoup quand elle rentrait de l’école. La maman de Léa a donc demandé un entretien avec la directrice, l’enseignante et les parents des élèves qui harcelaient sa fille. L’école a accédé à sa requête et ensemble, tout le monde promis d’être très attentifs à ce qu’il se passait en classe et en dehors.
En parallèle, j’ai vu Léa et entrepris de lui faire comprendre les mécanismes du harcèlement et lui donner des outils pour qu’elle puisse agir quand elle se sentait harcelée.
La maman de Léa m’a expliqué que c’était également très compliqué pour elle de s’intégrer parce que les autres parents fonctionnaient très entre eux et plusieurs « expatriés » vivaient exactement la même chose qu’elle. Lors des sorties scolaires ou toutes autres activités mêlant parents et enseignants, elle vivait ce rejet.
Le calme est revenu pendant un mois environ, puis tout a recommencé.
Après une nouvelle intervention virulente de la maman de Léa auprès de l’enseignante, J’ai contacté la directrice de l’école pour lui proposer une médiation entre toutes les parties et trouver ainsi une solution au problème.
Cette dernière a été très preneuse et nous nous sommes tous retrouvés (directrice, enseignantes, parents d’élèves) autour d’une table pour ouvrir le dialogue.
La première chose que j’ai demandé, était de savoir qui vivait dans la commune depuis longtemps et qui était arrivé depuis peu. Je me suis retrouvé devant le bloc parents/enseignants/directrice face à la maman de Léa.
Il a été alors évident de comprendre que les enfants dans la classe rejouaient ce que les adultes avaient mis en place. L’objectif était de leur en faire prendre conscience.
Mais alors de quoi avaient-ils tous si peur ?
De se perdre. De ne plus exister en tant qu’entité distinguable des autres. De disparaitre dans la masse. D’être absorbé. Alors ils faisaient de la résistance en restant entre eux. En s’opposant, en mettant à l’écart.
La maman de Léa a pu alors expliquer qu’elle se sentait effectivement rejetée par la communauté, qu’elle n’existait pas et n’avait pas d’importance à leurs yeux.
Entre la peur de disparaitre et celle de ne pas exister, finalement le dénominateur commun était de savoir comment être pris en considération dans son identité dans le groupe.
C’est exactement ce que les enfants ont fait, mais à l’inverse. En pointant du doigt Léa, ils ont stigmatisé sa différence et l’ont agressée pour l’empêcher de faire partie d’eux. Ils l’ont distinguée et mise en avant pour tout ce qui n’était pas comme eux afin de mieux pouvoir assumer leur rejet.